Histoire de la pharmacologie
Certaines plantes thérapeutiques sont connues depuis des millénaires : par exemple l'éphédra en Chine et le Rauwolfia en Inde. Des manuels pharmaceutiques sont rédigés dès les débuts de l'écriture, comme en témoigne une tablette cunéiforme trouvée à Nippour au pays de Sumer (sud de la Mésopotamie).
Les grecs sont à l'origine de la science moderne rationnelle. C'est notamment le cas de la pharmacologie.
Au cinquième siècle avant Jésus-Christ, Hippocrate associe une cause spécifique à chaque maladie. Au premier siècle de notre ère, le médecin et botaniste grec Dioscoride sert dans l'armée de Néron. Il consigne par écrit une liste de remèdes naturels d'usage courant à l'époque. C'est le premier manuel pharmaceutique du monde occidental.
A la même époque, Celse écrit l'Arte medica, somme de toutes les connaissances accumulées depuis Hippocrate.
Le deuxième siècle est dominé par Galien, médecin dont les études sur l'anatomie animale et la physiologie humaine font autorité jusqu'à la renaissance. Il naît à Pergame en Asie Mineure romaine et s'installe plus tard à Rome pour y enseigner, avant que l'empereur Marc Aurèle fasse de lui le médecin de son fils Commode. A Pergame se trouve le sanctuaire du dieu de la médecine Asclépios qui attire les patients du monde gréco-romain. Galien y reçoit une première formation, assez peu scientifique. Il étudie ensuite à Smyrne avant de compléter ses connaissances au cours de plusieurs voyages. Son approche est celle du philosophe Aristote: fondée sur l'observation, bien que non expérimentale. Il préconise des purges et saignements pour rééquilibrer les humeurs (liquides) corporelles, car il pense qu'un tel déséquilibre est à l'origine des maladies. La science de la formulation des médicaments porte son nom : la galénique. La pharmacologie d'aujourd'hui découle des efforts des apothicaires du moyen âge dont le rôle est à la fois de prescrire et préparer les médications.
Au seizième siècle, l'alchimiste et médecin suisse Paracelse émet la théorie que les maladies sont causées par des agents extérieurs neutralisables par des substances chimiques. Son vrai nom est Theophrastus Bombastus Hohenheim. Paracelse signifie "au delà de Celse" par prétention à dépasser Celse. Il critique Galien, ses purges et ses saignées. Plutôt que d'extraire des liquides corporels, il administre des substances. Il utilise des sulfures et des sels de mercure contre la syphilis et le goitre. Sa conviction que le mal doit être combattu par le mal annonce l'homéopathie.
La pharmacologie prend un caractère plus scientifique dès la fin du dix-huitième siècle, lorsque les progrès de la chimie permettent la standardisation et la purification des ingrédients médicamenteux. Il s'agit encore de produits naturels, notamment ceux que les explorations du dix-septième siècle ont rapportés en Europe: coca, quinquina, ipéca, etc.
Le 14 mai 1796 Edward Jenner collecte le virus de la variole de la vache, ou vaccine, et l'inocule à un garçon de huit ans du nom de James Phipps. Quelques mois plus tard, il lui inocule le virus de la variole humaine, sans conséquence. Le garçon est imunisé. La variolisation, ou inoculation de la variole humaine, avait été pratiquée depuis l'antiquité, mais le recours à un virus différent réalise la première immunisation à la fois efficace et raisonablement sûre. La "vaccination" est d'abord le nom donné par Pasteur à la méthode de Jenner d'inoculation de la vaccine. Ce nom désigne à présent toute technique similaire.
Dans la première partie du dix-neuvième siècle en France et en Allemagne des chimistes réalisent l'identification et l'isolement, c'est à dire l'extraction et la purification, de la quinine (antimalarique), la morphine (antidouleur), la strychnine (pour l'estomac), l'atropine (contre les spasmes digestifs), etc. Le premier médicament synthétique est le chloroforme en 1832. A la fin du siècle, l'Allemand Oswald Schmeiderberg fonde le premier journal de pharmacologie et dirige à Strasbourg le premier Institut de pharmacie. Le chimiste allemand Félix Hoffmann synthétise l'aspirine en 1893. L'aspirine, ou acide acétylsalicylique, est obtenu par acétylation de l'acide salicylique extrait de l'écorce de saule (=Salix, d'où le nom). Paracelse avait émis la théorie de la signature, selon laquelle l'usage d'une substance pouvait être déduite de l'observation de sa présence dans la nature. Dans cet esprit, l'écorce du saule, arbre des marais, devait contenir un agent anti-inflammatoire, puisque les rhumatismes sont aggravés par un climat humide. C'est ainsi que, depuis l'antiquité, l'acide salicylique était employé contre les rhumatismes. (Une autre "vérification" amusante de la théorie de la signature est la colchicine, antigoutteux extrait de la racine en forme de goutte de la colchique) Le père de Félix Hoffmann en faisait usage. La création de l'aspirine résulte de sa demande à son fils de tenter d'améliorer l'efficacité de l'acide salicylique. Par la suite, la firme Bayer entreprend la production industrielle du nouveau médicament.
En 1928, le laboratoire d'un chercheur anglais est un peu désordonné. Alexander Fleming laisse traîner dans un évier une pile de petites boîtes plates dans lesquelles il a effectué des cultures de bactéries. Il les jette un peu plus tard, en y jetant un petit coup d'oeil. L'une d'elle attire son attention: "Tiens, c'est amusant!" une tache de moisissure a laissé un vide au milieu de la culture bactérienne. Cette moisissure produit de la pénicilline, le premier antibiotique connu, qui sera produit industriellement pendant la guerre.
Au vingtième siècle jusque vers 1975 de nombreux autres médicaments font leur apparition: les sulfamides (antibactériens), l'insuline (hormone contre le diabète), l'imipramine (antidépresseur) et la cortisone (hormone anti-inflammatoire). La Belgique peut s'enorgueillir d'avoir eu, avec le Docteur Paul Janssen, un des pharmacologues les plus doués de sa génération. Il entame en 1953 la réalisation du rêve de sa vie: mettre sur pied un laboratoire de recherche indépendant consacré exclusivement à la découverte et au développement de nouveaux médicaments. C'est un incroyable succès. Au fil des années, des dizaines de molécules sont lancées, dont le miconazole ("Daktarin", antimycotique), le mébendazole ("Vermox", vermifuge) et le lopéramide ("Imodium", anti-diarrhéique).
La pharmacologie moderne est pour une grande part consacrée à la recherche de molécules similaires à ces premières découvertes, mais plus performantes. A l'heure actuelle, il est fait un usage croissant de la séparation des deux images-miroir des molécules asymétriques pour en accroître la puissance (liée à une seule image) vis-à-vis des effets secondaires (liés aux deux images).
Le vingtième siècle voit aussi des progrès dans la compréhension des mécanismes d'action des médicaments, en rapport avec leur structure moléculaire. C'est ce qui permet la conception de nouvelles molécules destinées à l'étude. On sait que l'activité pharmacologique découle souvent d'une interaction avec les récepteurs cellulaires aux hormones et aux neurotransmetteurs (molécules chargées de la communication des cellules nerveuses entre elles ou avec les organes) naturellement présents dans l'organisme. La recherche pharmacologique est passée dans le domaine commercial. Le rythme de découverte de nouvelles molécules véritablement innovantes s'est ralenti depuis 1975.
La production d'un nouveau médicament nécessite à présent des recherches difficiles et des tests longs et coûteux. Il arrive qu'une molécule prometteuse ne soit finalement pas commercialisée à l'issue des études toxicologiques. L'investissement est alors perdu. Pour ces raisons, la recherche pharmacologique est conduite par des firmes aux capacités d'investissement suffisantes pour supporter des coûts et risques importants. Dans les années 1990, des séries de fusions de sociétés ont fait le bonheur des investisseurs en bourse. En réalité, cela n'enlève rien au risque de ce type d'investissement. Il est impossible de prévoir ce qui sortira des laboratoires. Par exemple, le Viagra était à l'origine étudié par la firme Pfizer en tant qu'hypotenseur. Il n'a finalement pas été commercialisé contre l'hypertension. Par contre, des sujets ayant remarqué un effet érectile au cours des tests, le cours de l'action Pfizer n'a pas tardé à subir le même effet. Le Viagra s'est révélé un succès pharmacologique et commercial, mais qui aurait pu le prévoir? La recherche se transfère progressivement de l'Europe aux Etats-Unis à la suite du contrôle accru des dépenses de santé en Europe. Ce contrôle est justifié par le coût de plus en plus élevé des nouveaux médicaments, parce que les firmes pharmaceutiques doivent amortir leurs investissements en recherche et développement. Le manque d'intérêt du gouvernement américain pour le prix des médicaments rend le marché outre-atlantique plus attractif pour ces firmes. Mais les gains en termes d'emploi y sont contrebalancés par le coût nettement plus élevé des médicaments.